TRÉPANER LE RÉEL



Sophie Lapalu, 2017

Si la fiction est un trépan permettant de percer le réel, Julien Audebert s’attèle à cette tâche et crée des images impossibles, en attente de sens. Aussi le cinéma comme la littérature et la mythologie sont autant de sources dans lesquelles l’artiste puise pour œuvrer. Tutto sta in un pugno (2014) utilise les repérages que Pasolini a effectué pour L’Évangile selon Matthieu – projet avorté car le paysage avait bien trop évolué depuis l’antiquité jusqu’à la création de l’état d’Israël. Audebert s’empare des screenshots pour n’en faire qu’une seule et même image. Dans ce paysage halluciné, il n’a pas omis les paroles échangées ; petites écritures perdues dans le désert, elles inscrivent les récits tant géopolitiques que théologiques sur les collines desséchées. Les vues de Nocturne (printemps) (2016) sont quant à elles hantées par des bestioles dont on devine le sang froid qui coule sous la peau visqueuse. Si elles ne sont pas sans évoquer les monstres qui hantent les flammes de l’enfer ou les plats de Palissy, le violent clair-obscur nous rappelle plutôt le traitement pictural des volumes du Caravage. Ces photographies, prises de nuit, présentent en vérité les stigmates que les bombardements de Verdun ont creusés dans la terre. L’artiste a éclairé à la torche les trous d’obus aujourd’hui gorgés d’eau et reconstitué une image conjuguant toutes ces mares dégueulant de vie.

On ne sait pas bien si c’est de vie ou de mort dont il s’agit dans Mars et Venus, phases d’opposition (2016). Dans ce film, la guerre y observe l’amour, dans une chorégraphie millimétrée et rythmée par le mouvement des astres et les aboiements des chiens. Ici l’artiste révèle un phénomène que l’on ne peut appréhender avec nos outils de perception humains : la phase d’opposition des deux planètes lorsque celles-ci sont alignées. Dès l’antiquité, un phénomène de rétrogradation a interpellé les astrologues : pourquoi certaine planètes semblent effectuer une boucle ? Audebert, associé à un astronome de l’IMCCE, a réalisé un travail de calcul d’échelle afin de ramener le mouvement spatial à l’échelle humaine. Le film se construit sur un long travelling où la danseuse étoile Alice Renavand effectue sa rotation sous le regard médusé et menaçant de Mars, la caméra. Le corps humain se trouve, une fois encore, pris au piège de la mécanique céleste.




A TREPAN INTO REALITY



Sophie Lapalu, 2017
Translation : Emilie Lecatre

If fiction is a trepan allowing to drill into reality, then Julien Audebert buckles down to the task and creates impossible images waiting to make sense. Thus cinema as literature and mythology are so many sources of inspiration for the artist's craft. Tutta Sta In Pugno (2014) uses Pasolini's recce for the Gospel According to Saint Matthew (1964) - a project he cut short given the changes the landscape had gone through from Ancient Times until the creation of the State of Israel. Audebert takes hold of the screenshots to create a single image. In this wild-eyed landscape, the words shared are not ignored, minute scriblings lost in the desert, here to record geopolitical as much as theological tales of the barren hillsides.
On the other hand, the shots of Nocturnes Printemps (2016) are haunted by bugs whose cold blood running under their swarmy skin is easy to guess. Even if they do evoke the monsters haunting the flames of hell or Palissy's plates, the violent chairoscuro cannot but remind us of Caravaggio's pictural take on volumes. These night photographs actually represent the stigmas dug by the bombings in Verdun's soil. The artist torch-lit the holes now filled with water and thus recaptured an image combining all these ponds teeming with life. 
We don't really know if Mars & Venus, phases of Opposition (2016) ponders on life or on death. In this film, war stares at love, in a millimetric choreography, cadenced by the stars's movements and the barking of dogs. Here the artist reveals a phenomenon that our human tools can only but apprehend: the opposition phase of two planets when they are aligned. This regression movement has fascinated astronomers from Ancient Times and we are still wondering today why some planets seem to follow such a loop. Together with an IMCEE astronomer, Audebert has worked out a scale able to bring down space movements down to human dimensions. The film thus builds on a long traveling shot where the Prima Ballerina Alice Renavand's rotations fall under the stupefied and threatening gaze of Mars, the camera. The human body finds itself once more trapped in the cogs of celestial mechanics.