PEINDRE LES REMÈDES



Raphaël Cervera, 2018

La peinture doit être distinguée de l'image. Car la peinture est unique, tandis que l'image, elle, se répète, se lit, parfois s'oublie. S'il est commun de faire de l'image un autre nom de la mort, la peinture se tient toujours vivante. Son corps se trouve devant le notre. C'est-à-dire que la peinture ne se laisse pas totalement prendre au piège du discours, qui l'évide, la contourne, la fait disparaître. Le discours, trop pressé de réduire la peinture à la surface dont sont faites les images, fait au contraire taire la première au profit de la seconde. Faire de la peinture une image, voilà qui, au fond, entretient la confusion de leur identité.

Qu'est-ce que le pictural ? Qu'est-ce qui relève de l'image dans la peinture, mais aussi, de la peinture dans l'image ?, sont entre autres les questions posées par Julien Audebert. Montage de plans, tectonique des surfaces, analogies, rencontres, travail de la figure et de son échelle, mettent à distance l'image, sans pour autant s'en écarter véritablement. C'est, plus que s'enfermer dans les problématiques spécifiques d'un médium, opérer par cercles, de la peinture à l'image, de l'image à la peinture. C'est à la fois faire monter les images par la peinture, et révéler la peinture, par l'image. Deux oranges, pâles et coupées, essorées de leur jus, quelques piles d’assiettes, des restes, tels qu'olives, cuillères, feuilles de sopalin, tantôt prisonniers de l'image, sont alors ressaisis et libérés par la peinture. Le remède à la mort programmée des images se trouve ainsi solidaire de l'acte même de peindre.

Bien que résolument ancré dans la peinture, le travail de Julien Audebert échappe au simple catalogue de recettes, à l'exercice, à la démonstration technique. Car sa peinture ne s'écarte jamais totalement du sujet, fut-il un simple prétexte, un point de départ, un jeu, un détour. Se priver du sujet, n'est-ce pas là refuser à la peinture le moyen de prendre conscience d'elle-même ? Festins, goutte noire, pièges, troisième main, sont autant de sujets solidaires de l'objet « peinture », par la médiation du pictural. Qu'est-ce que la goutte noire ? Ni plus ni point qu'un phénomène optique, une diffraction, qui, pris dans la peinture, se frayent un chemin, s'y trouvent un remède. Les festins, bien installés dans leur champ, se donnent comme autant de pré-images, d'impressions, de reprises. Ainsi, ces sujets de peinture sont autant de moyens de penser ce qu'il convient d'appeler une dialectique de la peinture et de l'image.

Puisque la peinture est le lieu vivant de l'image qu'elle l'accueille, qu'elle lui permet de se déployer dans son espace, celle-ci relève peut-être d'une médecine. Cette belle hospitalité, voilà non seulement un remède possible à la répétition mortifère des images, mais aussi, de manière plus générale, au repli contemporain de ce que l'on nomme communément « Sujet ».