2009, toile suspendue imprimée, projecteur de diapositives, diapositive avec texte, miroir
(Vue de l’exposition Au pied de la lettre, Domaine départemental de Chamarande, Centre d’art contemporain, 17.05 - 20.09.2009)
« Nous découvrons un miroir, ainsi que braqué à quelques centimètres sur lui, un projecteur. Or, tout juste cherchons-nous à y voir autre chose que notre propre image, qu’apparaît dans ce reflet du drapé (...) le dit aphorisme. Rien est un meilleur substitut à l’amour que la représentation. Chaque mot et chaque espace interfère différemment selon que notre regard, dans son papillonnement, se focalise sur l’aphorisme ou bien sur notre propre image dans le miroir. Habilement Julien Audebert fait de nous un Narcisse qui s’abyme dans son propre reflet mais empêché d’y sombrer par le second abyme aphoristique s’interposant, entre le drapé et le miroir – deux lieux où la représentation s’abyme déjà –, entre le texte et l’image, entre je et l’autre auquel on aurait voulu trouver quelque substitut. Nous serions en quelque sens revenus au cœur de la tavoletta avec laquelle Brunelleschi inventa la perspective ; en se plaçant au revers de la peinture, et s’effaçant derrière elle pour en viser le reflet dans un miroir, à ce tournant pour l’histoire du regard où il pu être consigné d’un aphorisme tel : Rien n’est un meilleur substitut au monde que la perspective. À la nuance qu’ici, nul point de fuite auquel notre présence de sujet assignerait la percée (nous ne sommes d’aucune manière plongés dans un dispositif de chambre optique) ; mais à tout le moins ce point fou dans lequel Pascal faisait provenir la fonction infinie de la perspective « de derrière la tête ». Le temps qu’il nous est proposé de partager n’est pas un temps de subjectivation au point souverain d’un regard qui se donne pour maîtrisé, mais plutôt un temps de retrait ou d’ellipse (d’une image pliée à un reflet biaisé) par lequel peut se construire une mémoire de l’espace – autrement dit, sublime subver- sion du musée en tant qu’espace mémoriel. Ce temps nous l’avons dépensé à nous rendre victimes de son ultime élision, et sans doute la plus subtile des opérations psychovisuelles structurant notre expérience du dispositif. L’aphorisme de Karl Kraus de derrière la tête ne se lit en définitive qu’au prix de la disparition du « n’ », d’où cette volte-face de l’expérience présente, non plus dévolue à la foi dans l’image mais à sa néantisation. Julien Audebert réussit le coup de force de nous faire éprouver physiquement l’expérience psychanalytique du lapsus, lorsque les trébuchements du langage ouvrent les lieux singuliers de la pensée, expérience de la lettre à la fois manquante et fondatrice, lettre-écran de la négation subvertie (« n’ »), expérience du désir scopique qui retourne à son propre point aveugle. Rien est un meilleur substitut à l’amour que la représentation. »
Morad Montazami, 2009
Exhibition view Au pied de la lettre, Domaine départemental de Chamarande, Centre d’art contemporain, 17.05 - 20.09.2009